CE Sect. 2 décembre 2016, Société Export Press

Un rescrit fiscal est une prise de position formelle de l’administration sur une situation de fait au regard d’un texte fiscal en réponse à une demande écrite, précise et complète présentée par un contribuable de bonne foi[1]. Lorsque la prise de position est favorable au contribuable, rien ne change : la combinaison des articles L. 80 A, 1er alinéa, et L. 80 B du livre des procédures fiscales (LPF) lui offre une garantie contre un éventuel changement de position de l’administration et le risque consécutif de redressement fiscal. Mais, lorsque la prise de position lui est défavorable et que son application affecterait sa situation économique de façon notable, l’arrêt Société Export Press lui ouvre la voie du recours pour excès de pouvoir pour la contester sans attendre le terme de la procédure d’imposition. La pertinence de ce recours, créé dans un souci de sécurité juridique, se résume à un adage simple : mieux vaut prévenir (par un recours pour excès de pouvoir) que guérir (par un recours de plein contentieux).

1. Les limites du principe de l’exception de recours parallèle

En principe, un rescrit (ou un refus de rescrit) ne peut pas, compte tenu de la possibilité d’un recours de plein contentieux (RPC), être contesté par le contribuable par la voie du recours pour excès de pouvoir (REP). En effet, les rescrits individuels sont considérés comme non détachables de la procédure d’imposition, laquelle peut être contestée dans son ensemble dans le cadre d’un RPC[2]. Ainsi, lorsque la prise de position de l’administration lui était défavorable, le contribuable ne pouvait la contester que par deux biais :

  • Soit il s’y conformait et payait l’impôt avant de déposer une réclamation préalable auprès des services fiscaux et un RPC (contentieux offensif ou action en restitution).
  • Soit il l’ignorait et prenait le risque d’un rehaussement : si un contrôle advenait, il pouvait alors contester la position de l’administration par un RPC (contentieux défensif ou action en décharge).

Dans les deux cas, une exception de recours parallèle pouvait être opposée au contribuable, qui disposait d’un RPC devant le juge de l’impôt. Cependant, cette dernière voie de recours emporte des délais. En attendant, le contribuable restait dans l’incertitude quant aux règles fiscales applicables.

Notons que ce strict ordonnancement juridique avait déjà connu des aménagements :

  • Dans le cas où le demandeur n’est pas le redevable légal de l’impôt et n’a donc pas accès au RPC, il est admis que le rescrit est détachable de la procédure d’imposition et constitue une décision faisant grief lorsqu’elle lui dénie la possibilité d’obtenir le bénéfice d’un régime fiscal. Ce rescrit peut dès lors faire l’objet d’un REP[3]. Cette solution s’applique, par exemple, au refus de reconnaître à une association la qualité d’organisme d’intérêt général ouvrant droit à une réduction d’impôt pour ses donateurs.
  • D’autres exceptions ont été inspirées par des impératifs de pragmatisme et de sécurité juridique. Le juge de l’excès de pouvoir a ainsi accepté de regarder certains actes comme détachables de la procédure d’imposition et de les contrôler dans des cas où il serait paralysant pour le contribuable de devoir attendre le terme de cette procédure pour pouvoir engager un RPC. Ont par exemple été jugés susceptibles de REP les refus de l’administration fiscale de reconnaître à un contribuable la qualité d’assujetti à la TVA (et le droit à déduction y afférent)[4] ou d’accorder le bénéfice du taux super réduit de TVA de 2,1 % attaché au régime de la presse[5].
2. L’extension des dérogations : l’ouverture d’un recours pour excès de pouvoir

L’apport de l’arrêt Société Export Press est d’ouvrir la voie du REP lorsque la prise de position de l’administration, à supposer que le contribuable s’y conforme, entraînerait des effets notables autres que fiscaux et qu’ainsi, la voie du RPC devant le juge de l’impôt ne lui permettrait pas d’obtenir un résultat équivalent. Il en va ainsi, notamment, lorsque le fait de se conformer à cette prise de position aurait pour effet, en pratique, de faire peser sur le contribuable de lourdes sujétions, de le pénaliser significativement sur le plan économique ou encore de le faire renoncer à un projet important pour lui ou de l’amener à modifier substantiellement un tel projet[6].

Deux remarques doivent être faites sur cette définition de l’intérêt à agir du contribuable :

  • D’une part, les effets en cause doivent être « autres que fiscaux », les effets fiscaux des rescrits continuant à relever du juge de l’impôt. Il faut ici rappeler que la voie du REP était déjà ouverte contre les décisions de l’administration fiscale dénuées d’effets fiscaux, mais pourvues d’effets sur le calcul de prestations de sécurité sociale[7] ou de cotisations sociales[8]. Le Conseil d’État va désormais plus loin en acceptant de prendre en compte les effets économiques induits par une prise de position de l’administration.
  • D’autre part, il est exigé que le respect de la prise de position de l’administration entraîne des effets « notables » sur le contribuable[9]. C’est dire qu’au-dessous d’un certain seuil d’importance, apprécié au regard des effets, le recours reste irrecevable. À titre d’exemple, les sujétions comptables induites par l’assujettissement d’une association aux impôts commerciaux pourraient suffire à franchir ce seuil[10].

Cette extension s’avère d’autant plus grande qu’un sort particulier est réservé aux rescrits spéciaux. Ainsi, les prises de position défavorables sur des demandes des contribuables relevant des 2° à 6° ou du 8° de l’article L. 80 B et de l’article L. 80 C du LPF sont, eu égard aux enjeux économiques qui motivent ces demandes, réputées remplir les conditions leur permettant d’être contestées par la voie du REP[11]. L’exception devient ici la règle et le REP est présumé recevable contre de telles prises de position. Or il s’agit là de cas de figure importants : sont notamment visées les demandes de rescrits « entreprises nouvelles » (2° de l’article L. 80 B), « crédit impôt recherche » (3° de l’article L. 80 B), « jeunes entreprises innovantes » (4° de l’article L. 80 B) ou « mécénat » (article L. 80 C), qui représentent, respectivement, 7,2 %, 1,9 %, 4,5 % et 32,1 % des demandes de rescrits[12].

S’agissant du rescrit général prévu au 1° de l’article L. 80 B, qui reste prépondérant (49,7 % des demandes), les prises de position exprimées par l’administration dans ce cadre seront examinées à l’aune de la série, non limitative, des critères dégagés par le Conseil d’État. Il conviendra notamment d’apprécier si la mise en œuvre de la position de l’administration aurait pour effet de pénaliser « significativement » le contribuable sur le plan économique. Voilà un seuil lui-même sujet à interprétation. Il ressort d’ores et déjà de l’arrêt Société Export Press que l’appréciation de cette condition sera globale et concrète. Ainsi, pour juger que la prise de position négative de l’administration sur la possibilité de soumettre la vente de revues au taux réduit de TVA est de nature à rehausser les prix et à pénaliser significativement les ventes du demandeur, le Conseil d’État prend en compte la structure du marché concerné, l’écart entre le taux normal et le taux réduit de TVA de 5,5 %, ainsi que l’impossibilité, dans le cas où le juge de l’impôt ferait ultérieurement droit à sa thèse, d’obtenir le remboursement de l’excédent de taxe collectée et supportée en définitive par les consommateurs finaux[13].

3. L’instauration d’un recours administratif préalable obligatoire

La recevabilité du REP ainsi ouvert est soumise à une dernière condition (chronologiquement la première) : l’auteur de la demande qui entend la contester doit saisir préalablement l’administration d’une demande de second examen dans les conditions prévues à l’article L. 80 CB du LPF. La décision par laquelle l’administration fiscale prend position à l’issue de ce second examen se substitue à sa prise de position initiale. Seule cette seconde prise de position peut être déférée au juge de l’excès de pouvoir[14].

Deux remarques peuvent être faites à ce sujet. La première est que ce recours administratif préalable obligatoire est une création prétorienne. En effet, l’article L. 80 CB du LPF offre au contribuable une simple faculté de solliciter un second examen, que le Conseil d’État érige en préalable obligatoire à la saisine du juge. La seconde est que trois raisons justifient ce recours préalable[15] :

  • D’une part, il favorise la poursuite du dialogue qui régit le mécanisme du rescrit. Plusieurs chiffres attestent l’effectivité du second examen : en 2016, la part des contribuables ayant souhaité être entendus par les collèges territoriaux ou le collège national a représenté 79 % et 94 % des demandes de second examen ; et, la position finale prise par les collèges territoriaux ou le collège national a différé de la position initialement prise par l’administration dans 18 % et 53 % des cas[16].
  • D’autre part, il permet à l’administration d’améliorer la motivation de ses rescrits et d’en harmoniser le sens. Les rescrits les plus importants sont d’ailleurs mutualisés et mis en ligne. Il reste que peuvent seuls se prévaloir d’un rescrit les contribuables qui se trouvent dans la situation de fait sur laquelle l’appréciation a été portée ainsi que les contribuables qui ont participé à l’acte ou à l’opération qui a donné naissance à cette situation. En revanche, les autres contribuables ne peuvent utilement invoquer une rupture du principe d’égalité à leur détriment[17].
  • Enfin, il vise à limiter le contentieux en filtrant l’accès au prétoire.

En résumé, la nouvelle voie de recours ouverte est une heureuse innovation qui renforce sensiblement la sécurité juridique du contribuable et favorise le développement du rescrit.

 

1 – CE Sect. 2 décembre 2016, n° 387613, Société Export Press, point 6. Voir aussi « Le rescrit : sécuriser les initiatives et les projets », Étude du Conseil d’État, La documentation française, 2014.
2 – V., en ce sens, CE 26 mars 2008, n° 278858, Association Pro-Musica.
3 – CE 14 février 2011, n° 329252, Association Euskal Herriko Laborantza Ganbara. Voir aussi, s’agissant de la décision refusant à un particulier le bénéfice de l’application du taux réduit de TVA aux travaux qu’il envisage de réaliser, CE 19 février 2014, n° 358719, Guiot.
4 – CE Plén. 20 juillet 1990, n° 84846, Association pour l’action sociale de la Charente-Maritime.
5 – CE 29 novembre 2002, n° 224644, SARL « Les Courses ».
6 – CE Sect. 2 décembre 2016, Société Export Press, précité, point 7.
7 – CE Sect. 8 mai 1981, n° 17929, Marquiset.
8 – CE Sect. 5 novembre 1993, n° 132305, Le Courrier de l’Ouest.

9 – Signalons que, dans le cadre du REP contre les actes de « droit souple » des autorités de régulation (Autorité de la concurrence, AMF, ACPR, CSA, ARCEP, CRE, etc.), l’intérêt à agir du requérant a été défini en des termes voisins : il peut notamment résulter de ce que l’acte attaqué est « de nature à produire des effets notables, notamment de nature économique » (CE Ass. 21 mars 2016, n° 390023, Société NC Numéricable, point 5).
10 – V., en ce sens, annonçant un revirement par rapport à l’état antérieur de la jurisprudence (CE 26 mars 2008, Association Pro-Musica, précité), conclusions E. Cortot-Boucher sur l’arrêt Société Export Press, point 65, et chronique A. Iljic, « Rescrits fiscaux: ouverture maîtrisée du recours pour excès de pouvoir », RJF 2/17 p. 139.
11 – CE Sect. 2 décembre 2016, Société Export Press, précité, point 8. V. aussi conclusions E. Cortot-Boucher sur cet arrêt, points 53 à 59.
12 – Rapport de la DGFiP sur l’activité en matière de rescrit au cours de l’année 2016, pp. 5 à 7/15.
13 – CE Sect. 2 décembre 2016, Société Export Press, précité, point 11.
14 – Même arrêt, point 9.
15 – « Les recours administratifs préalables obligatoires », Étude du Conseil d’État, La documentation française, 2009.
16 – Rapport de la DGFiP sur l’activité en matière de rescrit au cours de l’année 2016, pp. 10 et 11/15.
17 – CE 17 juin 1996, n° 145594, SA France Sud Diffusion ; CE 19 juin 2017, n° 396780, min. c/ Sté DFA Distribution, point 2.