CE Sect. 31 mars 2017, M. Amar

Le principe du délai raisonnable s’applique désormais aux réclamations préalables en matière fiscale. Jusqu’ici, une décision ne comportant pas les informations requises sur les modalités d’exercice d’une réclamation préalable pouvait être indéfiniment contestée par le contribuable. Cette règle était protectrice du principe de légalité et des droits du contribuable. Toutefois, en considération du principe de sécurité juridique et de l’exigence corollaire de stabilité des situations juridiques, le Conseil d’Etat a décidé, de façon prétorienne, de borner l’extension illimitée du délai de recours qui prévalait en l’absence de mention des voies et délais de recours. Cette limitation vaut aussi bien dans le contentieux d’assiette que dans le contentieux du recouvrement.

1.     Le délai raisonnable de présentation de la réclamation préalable dans le contentieux d’assiette

Le contribuable qui désire contester tout ou partie d’une imposition doit d’abord adresser une réclamation au service territorial de l’administration fiscale dont dépend le lieu d’imposition (article R. 190-1 du livre des procédures fiscales [LPF]). Cette réclamation préalable doit être faite dans des délais variables selon l’impôt concerné :

  • Les réclamations relatives aux impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts doivent être présentées à l’administration au plus tard le 31 décembre de la 2e année qui suit la mise en recouvrement du rôle ou la notification d’un avis de mise en recouvrement (article R. 196-1 du LPF).
  • S’agissant des impôts locaux et des taxes annexes, le délai de réclamation prend fin au plus tard le 31 décembre de l’année suivant l’année de la mise en recouvrement du rôle ou de la mise en recouvrement de l’imposition (article R. 196-2 du LPF).

Par ailleurs, l’article R. 421-5 du code de justice administrative (CJA) prévoit que « les délais de recours contre une décision administrative ne sont opposables qu’à la condition d’avoir été mentionnés, ainsi que les voies de recours, dans la notification de la décision ».

Il résulte de la combinaison de ces dispositions que :

  • d’une part, l’avis d’imposition ou l’avis de mise en recouvrement par lequel l’administration porte les impositions à la connaissance du contribuable doit mentionner l’existence et le caractère obligatoire (à peine d’irrecevabilité d’un éventuel recours juridictionnel) de la réclamation préalable, ainsi que les délais de forclusion dans lesquels le contribuable doit présenter cette réclamation,
  • et, d’autre part, le non-respect de l’obligation d’informer le contribuable sur les voies et les délais de recours ou l’absence de preuve qu’une telle information a été fournie est de nature à faire obstacle à ce que les délais prévus par les articles R. 196-1 et R. 196-2 du LPF soient opposables au contribuable[1].

Toutefois le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être contestée indéfiniment une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire, ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. Dans le cas où le recours juridictionnel doit obligatoirement être précédé d’un recours administratif, celui-ci doit être exercé dans un délai raisonnable. Le recours administratif préalable doit être présenté dans le délai prévu par les articles R. 196-1 ou R. 196-2 du LPF, prolongé (sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable) d’un an. Dans cette hypothèse, le délai de réclamation court à compter de l’année au cours de laquelle il est établi que le contribuable a eu connaissance de l’existence de l’imposition[2].

En pratique, le contribuable doit former sa réclamation préalable :

  • avant le 31 décembre de l’année n + 3 suivant celle au cours de laquelle il a eu connaissance de l’imposition dans le cas des impôts autres que les impôts directs locaux et les taxes annexes à ces impôts.
  • avant le 31 décembre de l’année n + 2 suivant celle au cours de laquelle il a eu connaissance de l’imposition dans le cas des impôts locaux et des taxes annexes.

Ainsi, dans l’affaire Amar, les contribuables ont eu connaissance des cotisations supplémentaires d’impôt sur le revenu mises à leur charge au plus tard à la date de leur réclamation préalable. Ils ne pouvaient dès lors former une nouvelle réclamation que dans un délai qui expirait le 31 décembre de l’année n + 3 suivant cette 1e réclamation.

2.     Le délai raisonnable de présentation de la réclamation préalable dans le contentieux du recouvrement

Par ailleurs, les contestations relatives au recouvrement des impôts, taxes, redevances et sommes quelconques dont la perception incombe aux comptables publics doivent être adressées à l’administration dont dépend le comptable qui exerce les poursuites (article L. 281 du LPF). Les réclamations préalables doivent, sous peine d’irrecevabilité, être présentées à l’administration dans un délai de 2 mois à partir de la notification de tout acte de poursuite si le motif invoqué porte sur l’obligation de payer ou le montant de la dette ou du premier acte de poursuite permettant d’invoquer tout autre motif (article R. 281-3 du LPF, repris à l’article R. 281-3-1).

Dans l’état antérieur de la jurisprudence, l’absence de mention sur l’acte de poursuite adressé au contribuable de l’existence et du caractère obligatoire, à peine d’irrecevabilité d’un éventuel recours juridictionnel, de la demande préalable prévue à l’article R. 281-1 du LPF, ainsi que des délais dans lesquels le contribuable doit présenter cette demande, faisait indéfiniment obstacle à ce que ces délais soient opposables au contribuable[3].

Désormais, si la notification de la décision ne comporte pas les mentions prévues par l’article R. 421-5 du CJA ou si la preuve de la notification de cette décision n’est pas établie, le contribuable doit adresser sa réclamation dans un délai raisonnable à compter de la date à laquelle l’acte de poursuite lui a été notifié ou de celle à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance. Sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le contribuable, ce délai ne saurait excéder un an[4].

3. Le délai raisonnable d’exercice du recours juridictionnel

A titre incident, l’arrêt Amar confirme que l’exigence d’un délai raisonnable s’applique également au délai de recours juridictionnel[5]. Le contribuable doit donc saisir le juge de l’impôt dans un délai d’un an à compter de la date à laquelle une décision expresse de rejet de sa réclamation préalable lui a été irrégulièrement notifiée ou de celle à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance[6].

En effet, le principe de sécurité juridique, qui implique que ne puissent être remises en cause sans condition de délai des situations consolidées par l’effet du temps, fait obstacle à ce que puisse être indéfiniment contestée une décision administrative individuelle qui a été notifiée à son destinataire ou dont il est établi, à défaut d’une telle notification, que celui-ci a eu connaissance. En une telle hypothèse, si le non-respect de l’obligation d’informer l’intéressé sur les voies et délais de recours, ou l’absence de preuve qu’une telle information a bien été fournie, ne permet pas que lui soient opposés les délais de recours fixés par le code de justice administrative, le destinataire de la décision ne peut exercer de recours juridictionnel au-delà d’un délai raisonnable. En règle générale et sauf circonstances particulières dont se prévaudrait le requérant, ce délai ne saurait, sous réserve de l’exercice de recours administratifs pour lesquels les textes prévoient des délais particuliers, excéder un an à compter de la date à laquelle une décision expresse lui a été notifiée ou de la date à laquelle il est établi qu’il en a eu connaissance[7].

Cette règle, qui a pour seul objet de borner dans le temps les conséquences de la sanction attachée au défaut de mention des voies et délais de recours, ne porte pas atteinte à la substance du droit au recours, mais tend seulement à éviter que son exercice, au-delà d’un délai raisonnable, ne mette en péril la stabilité des situations juridiques et la bonne administration de la justice, en exposant les défendeurs potentiels à des recours excessivement tardifs. Il appartient dès lors au juge administratif d’en faire application au litige dont il est saisi, quelle que soit la date des faits qui lui ont donné naissance[8].

 

1 – CE Sect. 31 mars 2017, M. Amar, n° 389842, point 2. Voir, déjà en ce sens, CE 27 juin 2005, M. Dufresnes, n° 259368.

2 – CE Sect. 31 mars 2017, M. Amar, précité, point 3.

3 – CE 25 mai 2007, M. Maucolin, n° 285747.

4 – CE Sect. 31 mars 2017, M. Amar, précité, point 4.

5 – CE Sect. 31 mars 2017, M. Amar, précité, point 3.

6 – A. Iljic, « Délai raisonnable : premiers ajustements », RJF 6/17. 

7 – CE Ass. 13 juillet 2016, M. Czabaj, n° 387763, point 5.

8 – CE Ass. 13 juillet 2016, M. Czabaj, précité, point 6.